RÉSISTANTS, JUSTES PARMI
LES NATIONS ET DÉPORTÉS
FONTAINEBLEAU-AVON 1939-1945
Importance de la pensée
religieuse dans la résistance chrétienne
Sh. Saskia COHEN TANUGI pour H.U.J.I.
1. Problématique
A partir
d'une étude argumentée, nous proposons de compléter les travaux entrepris par
les prédécesseurs, en nous concentrant sur l’action des résistants au régime
collaborateur et à l’occupation nazie dans la région de Seine-et-Marne et plus
particulièrement dans la ville de Fontainebleau-Avon. Notre recherche se
concentre sur un sujet qui mérite une grande attention car la population de la
Ville d’Avon, représentée par son maire Remy Dumoncel, dévoile une action
organisée et résistante qui fut honorée par Yad Vashem. La ville
comptant plusieurs Justes parmi les Nations, reconnus par les autorités
israéliennes compétentes, pour leurs actions courageuses en faveur de la
population juive de la région et en faveur de la résistance.
Les
premières études générales consacrées à ce sujet sont, sans conteste, celles de
Serge et Béate Klarsfeld. Elles furent suivies, pour les recherches les plus
récentes, par les dossiers publiés dans la revue « Fontainebleau, la revue
d’histoire de la ville et de sa région », notamment par les articles rédigés
par Geneviève Bauchard « Le journal de l’exode de Jules Lanoë »[1]. Alexis Neviaski, dans son article intitulé « Un
couvent et des religieux en guerre, le couvent des Carmes d’Avon (1939-1945) »[2] expose les actes du père Jacques, directeur du
Petit-Collège d’Avon et ceux des prêtres du couvent qui cachèrent plusieurs enfants
juifs, employèrent comme professeurs des instituteurs soumis au port de
l’étoile jaune et prodiguèrent leur soutien aux réfractaires du S.T.O. Les
actes de résistance de ce couvent des Carmes ont été rapportés par l’entreprise
cinématographique française, dans un film signé de Louis Malle, ancien élève au
Petit-Collège d’Avon, témoin de l’entrée de la Gestapo dans le corps du
bâtiment, venue rechercher des enfants cachés pour les conduire en déportation, sous l'autorité des
forces nazies. Cet article est complété par la recherche de Maryvonne
Braunschweig qui décrit la ville d’Avon et sa population, au temps de la persécution[3]. La libération de Fontainebleau-Avon est analysée par
Jean-Claude Polton, Docteur en histoire et secrétaire général des Amis de la
Forêt de Fontainebleau[4]. En 2014, 20 pages d’une revue française d’histoire sont entièrement consacrées aux persécutions nazies, aux nombreux Justes parmi les
Nations de la Ville d’Avon et aux mouvements de la résistance de la région
Fontainebleau-Avon.
L’ancienneté
et la loyauté de la présence Juive dans cette région est présentée par Frédéric
Viey dans un article intitulé « Des soldats Juifs à Fontainebleau durant la
Grande Guerre »[5]. Cet auteur publie, par ailleurs, différentes
recherches sur l'histoire de la population juive de la région depuis 1991[6][7][8] : Fontainebleau-Avon,
Journal d’une communauté juive de la révolution à nos jours, suivie par Histoire des Juifs en Seine-et-Marne en
2005, puis par Le livre mémorial des
Juifs de Seine et Marne, durant la seconde Guerre Mondiale 1940-1945 en 2008.
Fréderic Viey est également l’auteur d’un article sur le sujet « Les héros
d’Avon », publié sur le site web de Judaïques
Culture, le 28 Avril 2013. Son
article vient compléter celui de B. Pamart, « Ils ont fait l’honneur d’Avon,
Rémy Dumoncel», paru dans le Bulletin
Municipal, 42, en octobre 2007.
Les
Archives de la Ville de Fontainebleau conservent différents ouvrages sur le
sujet : celui du père Philippe, Carme Déchaux, Un martyr des camps, le père Jacques 1900-1945,
Paris, Tallandier, 1949. Ce livre, rapporte les faits constatés par un témoin direct. Il n’est plus
édité. Par contre, il est possible de trouver le document signé de Jacques
Chegaray, Un carme Héroïque, la vie du
père Jacques, Paris, nouvelle cité, 1988, et de consulter celui de
Christiane Meres, Petite vie du père
Jacques, éditions Desclée de Brouwer, 2005. Il est important de noter que les
professeurs d’histoire et de littérature de la région ont conduit l'étude des écoliers
de différentes classes, sur l'ouverture d'un dossier concernant la résistance régionale et
sur la recherche de témoignages concernant les tentatives de sauvetage d’enfants juifs par les prêtres
d’Avon. Les résultats de ces recherches ont été publiés par les élèves, dans un
document centré sur le film de Louis Malle. La publication a été intitulée Les déportés d’Avon, enquête autour du film de Louis Malle, Au revoir
les enfants, carnet de fouille 60, Foyer des élèves du Collège
d’Avon, 1988.
Un document vidéo réalisé par Michel Fresnel et Annie-Claude Elkaim, intitulé «
Les enfants du père Jacques », présente différents témoignages : ceux de
Mme Tourtebatte, sœur de Hans-Helmut Michel, caché par les prêtres d’Avon,
dénoncé et mort en déportation. Ce témoignage est complété par celui du père
Carme Victor Sion, par ceux des anciens élèves du Petit-Collège d’Avon,
François-Xavier de Sieyes et Guy de Vogüe, par celui du chef de la résistance,
Albert Ouzoulias et de l’ancien économe Jacques Mathieu. De nombreux autres
témoins, la résidante d’Avon, madame Simone Jourdain ; les rescapés du convoi
67, Monsieur Raphaël Esrail et madame Claudine Hess ; les rescapés du camp de
Güsen, messieurs Louis Deblé, Jean Gavard, et Henri Boussel viennent compléter
les informations sur l’évènement. Ce document est enrichi par des documents
d’époque tournés à Avon en 8 mm par Jean Taisne.
La
bibliothèque de l’ancien Petit-Collège d’Avon présente également différents
ouvrages sur les actes des Justes parmi les Nations au sein des Carmes, à la
période de la seconde Guerre mondiale, comme le document de Frère Philippe Hugelé, Par la croix vers la lumière, le père Jacques de Jésus (1900-1945)
textes des journées de rencontre organisées à la mémoire du Père Jacques les
9-11 juin et 22-24 septembre 1995, Paris, éditions du Cerf, 1999. Cette
étude est consolidée par la publication de 2003, signée de Michel Carrouges, Le père Jacques : « Au revoir les enfants »
publiée à Paris, aux éditions du Cerf, et par celle de 2007, signée par le
collectif de la province de Paris de l’ordre des Carmes Déchaux, Tenir Haut l’Esprit, Père Jacques de Jésus,
Toulouse, éditions du Carmel.
Ces
différentes publications ont apporté un nouvel éclairage sur les interactions
entre les mouvements chrétiens, la population juive et la résistance dans la
région. Elles ont démontré l’importance de la discussion interreligieuse, dans
ce cas juifs/chrétiens, au moment des conflits armés mettant en péril le droit
humain. Certains des témoignages traitent du rapport au divin des frères
Carmes, de l’influence de la Bible et de l’histoire juive, dans le comportement
salvateur de Justes parmi les Nations issus de cette obédience. Elles
démontrent également de l’influence d’une politique organisée autour du droit
citoyen et du devoir civique pour le sauvetage de victimes, femmes et enfants,
souvent dénoncées par des pères, des hommes chargés de famille imposant des rapports
de violence et sauvées par le courage de responsables politiques comme Remy
Dumoncel et son équipe de la Mairie d’Avon. En contrepoint les articles sur
l’occupant nazi dévoilent l’organisation rigoureuse et une morale criminelle,
excluant toute conception du divin et du respect de la liberté citoyenne chez
les agresseurs. L’éducation morale des écoliers a été suivie par les
professeurs de la région en 1988, 44 ans après les faits et l’influence des
témoignages sur la population citoyenne ont été mémorisées par la publication
de nombreux articles sur le sujet dans la revue d’histoire locale en 2014. Il
semble donc que la décision de Yad Vashem d’attribuer les titres de Justes
parmi les Nations à plusieurs des citoyens de la région et aux prêtres, comme
l’impact de l’œuvre fictionnelle basée sur les souvenirs biographiques de Louis
Malle, aient été d’une grande importance pour la sensibilisation du problème
posé par le devoir de résistance. En effet, la mairie de cette région est
réellement identifiée comme résistante et ayant développé un premier concept de
résistance administrative, mettant en place une politique humanitaire en faveur
des plus vulnérables et divergente de la politique nationale dirigée par Laval.
A
partir des années 80, le devoir citoyen envers tout civil, le respect des
droits de l’homme, le droit à la sécurité des mères, des femmes et des enfants,
quelles que soient les origines sociales, ethniques, religieuses, semble être
conforté par la reconnaissance des actes de la génération antérieure, à travers
les hommages publics, les écrits, les programmes scolaires, les œuvres
cinématographiques, biographiques ou fictionnelles et les oeuvres théâtrales.
Mais
cette reconnaissance est-elle suffisante pour maintenir dans une société contemporaine,
les valeurs défendues par la mairie d’Avon à la période définie ?
L’objectif de cette recherche est d’interroger
l’influence des valeurs éducationnelles, des valeurs de la laïcité, de celles
de la religion, sur les actes de résistance pendant la période de la
résistance. Le Juste parmi les Nations, chrétien et carme, le père Jacques se
veut avant tout un éducateur. C’est en ce nom qu’il prit la responsabilité
d’ôter du circuit de la déportation, des enfants juifs et que suite à une
dénonciation, il en a partagé le destin. Il décède à 45 ans, des suites de
déportation à Mauthausen.
Notre
étude se divise en deux points : la part laïque de la résistance, et la
part religieuse. Elle analysera l’influence du patrimoine spirituel sur les
actions de ce prêtre et de son entourage religieux. L’influence de ce que
représente pour lui, le prophète Elie, dont les Carmes assument la parole et
l’autorité biblique. Une importance est particulièrement accordée aux
différentes stratégies utilisées par les nombreux membres laïcs de la Mairie
d’Avon pour sauver les citoyens mis en danger. Tandis que
l’ambiguïté des notions comme la puissance politique et armée sur une
population civile, les notions de devoir et d’obéissance, le droit au
renseignement par la torture, la ségrégation administrative, l’application de
lois de déportation et d’élimination seront étudiées en fonction des actions
entreprises par les représentants du pouvoir nazi, laïc, en place dans la
région et par l’action de sa gestapo et de la milice sur la population locale à
la période concernée. Une analyse des discours des représentants au pouvoir est
un enjeu clef pour comprendre le discours et l’action d’une Mairie dévouée aux
valeurs de la résistance. Les implications d’une autorité civile, s’opposant
par différentes actions à l’autorité politique en défiant le rapport de force,
sont abordées par l’étude du fonctionnement de la Mairie d’Avon à la période
concernée, complétée par celle de la police et de la gendarmerie locale, dont
certains des membres ont accomplis de nombreux actes de résistance en soutien à
la population civile.
Dans
son mémoire sur la Résistance française Paul Giniewski écrit :
«
Dans cette France ou nous étions environnés de tant de détracteurs, de
pétainistes, de délateurs, de dépisteurs de faciès juifs… j’ai découvert le
monde parallèle, sous-jacent des Justes, cette catégorie de mainteneurs, de
restaurateurs, de gardiens de l’ordre du monde à qui l’on a décerné à juste
titre, la médaille israélienne et d’autres, plus anonymes, restés ignorés qui
la méritaient aussi…Ils ont risqué leur vie en se joignant à notre combat. Les
uns savaient qui nous étions, d’autres ne le savaient pas. Les uns ont caché des
Juifs spontanément, d’autres, leur ont ouvert leur logis, ont partagé leur pain
avec eux…A un certain moment ils ont entendu l’appel d’un pasteur, d’un évêque,
d’un Gaulliste, ou d’un communiste qui les ont exhorté à se conduire en
Chrétien, en Français, en Homme et ils ont répondu à l’appel. Peu importe leur
motivation, leur couleur politique, leur religion. À cause de ces Justes, je me
suis senti moins abandonné. C’est une chose prodigieuse pour un Juif de
découvrir des non-juifs qui le défendent, prennent des risques, le risque
suprême, mettent leur vie en jeu pour nous protéger…je me suis demandé si un
non-juif peut réaliser ce que représente pour nous ce prodige »[9].
Ce
paragraphe de Giniewski démontre de l’importance pour la survie humaine, le sens
égalitaire et le bien-être social des citoyens, et pour la mise en place d’une
société harmonieuse, de l’éducation des sujets aux valeurs morales, religieuses
ou laïques impliquant des risques mais permettant de conserver la part
défensive du plus faible dans un rapport de force inégal. Car en effet, dans
cette région de Seine-et-Marne, l’histoire de 39-45 éclaire de manière limpide,
l’implication politique de l’inégalité des rapports de force sur le citoyen.
L’œuvre
cinématographique de Louis Malle s’est penché sur ce rapport de force au sein
de la société préservée des écoliers du Collège d’Avon de cette époque. Cette
œuvre conserve son impact en 2014. Les œuvres de Brecht, dont Grand peur et misère du troisième Reich,
ont traités de cette importance de l’inégalité des rapports de force sur la
population. Le théâtre, comme le cinéma, la littérature, mais aussi tout autre
support artistique, sont des outils opérationnels quant à l’expression d’une
conservation de la mémoire et d’une sensibilisation de la population. Nous
examinerons l’influence des différentes conceptions débattues à cette période
dans cette région et leurs ascendants sur les actes héroïques de certains de
ses citoyens.
2. Méthodologie
L’organisation
de cette partie s’établie en deux sections :
A –
L’analyse
systématique des critiques, articles, études des prédécesseurs et la méthode de
dépouillement systématique de toutes les informations, les références
historiques et les Archives, les notes et commentaires apportés par les
sources, permettront de confronter les conceptions des citoyens d’Avon,
résistants, Justes parmi les Nations, ou déportés avec celles des tenants du
rapport de force.
B
– Cette
recherche tente d’identifier la stratégie des différentes organisations
résistantes de la ville. Ses réussites et ses échecs. Elle se base sur
l’identité des résistants et leur mode d’action, leurs stratégies défensives
pour une bourgade de 4 480 habitants éprouvée par la répression (23 déportés)
pour avoir accompli des actions de résistance dont le sauvetage d’enfants
juifs. Cette section enquête sur les victimes, leurs caches sur le terrain,
leur périple et leur destin. Cette section se base sur les données répertoriées
et les noms déjà relevés : Les citoyens non-juifs comme Gaston Laidin, dénoncé
pour détention d'armes et déporté en mai 1944 ; Henri Mireux (déporté et mort à
Buchenwald), Gaston Sinet (déporté en 1943 et décédé à Bergen-Belsen). Gabriel
Georges (décédé en Allemagne en juillet 1944) ; le résistant Guy Borel,
fonctionnaire des postes (mort à Dachau en juillet 1944) ; René Teinturier,
instructeur militaire, qui procure des armes aux résistants et leur en
enseigner le maniement
(arrêté en
juin 1943, il meurt à Mauthausen)[10]. Les résistants, en lien avec la Mairie d’Avon, comme
le Capitaine Léon Guéneau, officier de carrière, chargé à la demande du maire
Remy Dumoncel
de la responsabilité de la cantine scolaire de la ville d’Avon9,
citoyen d’Avon dès 1934,
arrêté le 3 mai 1943 aurait été, par l’intermédiaire du colonel Fournet, un des
responsables ou un agent de liaison du mouvement de résistance CLB, Ceux de
LibérationVengeance, dirigé par Lecorre (Colonel Schimpf). « Il était chargé du
recrutement, des actions de sabotage, de repérage des itinéraires ferroviaires
des troupes allemandes, de trouver des endroits favorables pour les dépôts
d’armes et de munitions, de chercher les terrains d’atterrissage… »[11].
Selon le fils de Remy
Dumoncel, Guéneau aurait été chargé de la mise en place de documents d’identité
pour les apatrides : « C’est lui qui devait alimenter en fauxpapiers la Mairie
d’Avon en échange de cartes d’alimentation. Il fut arrêté par la Gestapo chez
lui, rue Charles Meunier, à Avon. Son arrestation a posée de sérieux problèmes
à mon père et à Mathéry. Il fut déporté sous l’étiquette Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard ». Selon Dumoncel
fils, son père aurait dit : « il ne reviendra jamais »[12]. Paul Mathéry, secrétaire de la Mairie
d’Avon, qui a sauvé femmes et enfants par la mise en service des papiers
administratifs. Mathéry est arrêté le 15 janvier 1944 par la gestapo, accusé de
faire des « faux papiers ». Le père Jacques, carme, directeur du Petit-Collège
d’Avon est arrêté par la gestapo, ainsi que trois élèves du petit Collège
d’Avon, le 15 janvier 1944. Le prêtre est accusé d’avoir « caché » ces enfants.
Les enfants sont accusés d’être Juifs. Lucien Canus, chargé du ravitaillement à
la mairie d’Avon, est arrêté le 29 février 1944. Aristide Roux, adjoint au
maire d’Avon, Etienne Chalut-Natal, adjoint au maire d’Avon, Charles Ziegler,
d’origine hongroise, employé municipal et traducteur de la mairie d’Avon, sont
arrêtés le 4 mai 1944.
Remy
Dumoncel, maire d’Avon, arrêté le 4 mai 1944 à 18h 30, à la gare
Paris-Avon. Prévenu à Paris, de l’incarcération de ses adjoints dans la journée,
le maire d’Avon décide de les « accompagner dans leur captivité », et monte
dans le train pour Avon sachant qu’il sera arrêté à la gare. Remy Dumoncel, le
Père Jacques, Paul Mathéry font partis des Justes parmi les Nations inscrits à
Yad Vashem[13].
Sont
également comptés parmi les résistants de la ville, René François qui rejoint
les forces aériennes gaullistes en 1942, André Levasseur, éduqué par le père
Jacques des Carmes et Ouzoulias, maquisard[14]. Les Archives de Fontainebleau mentionnent également
les actions de résistance de différents religieux de la région, comme celles
accomplies par l’abbé Abalin curé de Brégy qui indique aux résistants une tombe
vide et cimentée, inutilisée au cimetière, où sont entreposés les explosifs et
les armes[15]. Les
victimes, comme les cinq citoyens d’Avon et le citoyen de Thomery, fusillés par
les nazis en mai 42 sont nommées dans La
Marseillaise de Seine-et-Marne datée du 12 octobre 1945. Un court article
mentionne Raymond Lecuyer, père de 3 enfants, Roger Bontemps, père de 5
enfants, Lucien Richard, Armand Guillot, père de 5 enfants, Robert Vielle,
père de 7 enfants et leur camarade Maurice Courtot de Thomery, père de 3
enfants. Partis chasser en forêt, en début de printemps, dans l’espoir
d’améliorer les rations alimentaires de la trentaine de personnes qu’ils
avaient à charge, femmes et enfants, ils sont surpris par une patrouille
allemande qui ratissait le terrain suite à une délation. Condamnés à mort, ils
sont exécutés huit semaines plus tard. La femme de Robert Vielle témoigne
: « La nourriture était rare. Ils sont
partis chasser en forêt. Les Allemands ont organisé des rondes…Ils ont tiré sur
eux. Mon mari a été blessé. Un médecin, le Dr. Desclaux, est venu le soigner à
la maison. Quelques jours après, ils ont été arrêtés à leur domicile les uns
après les autres. Le jugement a eu lieu rue Royale à Fontainebleau. Ils ont été
condamnés à mort. Ils avaient trois jours pour obtenir leur grâce. Ce qui n’a
pas été respecté, car les Allemands les ont fusillés deux jours plus tard sans
attendre la réponse à la demande de grâce adressée par le maire, Mr. Remy
Dumoncel. Les six hommes ont été fusillés le 13 mai 1942 à la Glandée en forêt
de Fontainebleau »15. Le
maire, Remy Dumoncel, fera prendre en charge par les services municipaux les
rations alimentaires des femmes et des enfants des déportés et des fusillés de
sa commune. Les
listes d’arrivée à Drancy répertoriées par Serge et Beate Klarsfeld confirme
l’arrivée en camp de Drancy, le 21 octobre 1942, de trois personnes de
Fontainebleau-Avon : Une femme d’origine russe, née le 21 février 92, Khimia
Waisler et le couple polonais Jacob et Ita Gerstztenkorn, nés en 86 et 87 à
Varsovie. Le 21 mai 43, le couple Erligmann, Joseph né le 10 décembre 71 et
Rebecca, née Grossman en Russie le 10 janvier 75. Ils vivaient 16 rue Pasteur à
Fontainebleau-Avon. Le 16 juin 43 le couple Zilberberg rentre à Drancy. Israël
est né le 23 février en « Irean »[16] en 1902 et son épouse Denise, plus jeune de douze
ans, née Kotler le
25 mai 1914, vivaient au 22 rue de Neuville à Fontainebleau-Avon. Tout d’abord
séquestrés à Melun, le couple Novochbleski, René dit Jacob, né dans le second
arrondissement de Paris le 27 février 91 et Hélène née Chiger dans le 4ème
arrondissement à Paris, le 13 juin 80, plus âgée que lui de 9 ans, était
également domicilié au 22 rue de Neuville à Fontainebleau. Ils arrivent à
Drancy le 29 juin 43. Les Zilberberg et les Novochbleski étaient voisins. La
famille Sephiha de Constantinople, Mayer, né en novembre 85, son épouse Fanny,
née Levy le 10 janvier 93, et leurs enfants, Claire, née le 10 août 19 à
Levallois-Perret, et Victorine-Renée, née le 27 juillet 17, dans le onzième
arrondissement de Paris, vivait au 37 rue Saint-Honoré à Fontainebleau. Ils
arrivent ensemble au camp de Drancy[17]. Il est ä noter
la famille juive d’origine grecque, Hieshan et son épouse née Chaki Léa
Levi et leurs enfants, résidents 13 bis rue du 14 Juillet[18]. Il semblerait que les victimes de la ville, soient
d’abord regroupées à Melun puis transférées à Drancy. En été 44, il n’y a plus,
sur les listes nationales de citoyens « déclaré juifs » à Fontainebleau-Avon.
Les actions des
autorités nazies et celles de la Gestapo sont analysées en fonction des
informations retranscrites par les services des Fonds B.N.F. Gallica, L’Organe régional des mouvements unis de
résistance Provence Libre 1944 ; les Rapports
de délibération Conseil Général Préfecture de Seine et Marne 1945/11, le Rapport du Directeur départemental Service
des Prisonniers de guerre, Déportés et Réfugiés. Ces archives ont mis à
disposition des informations importantes. L'étude critique se portera donc sur
l'évolution et sur l'interprétation des stratégies employées au cours de cette
période et dans cette région. L’analyse des personnages engagés dans le
conflit, les solutions proposées au problème de la répression et de la
sauvegarde citoyenne dans cette période seront au centre de l'enquête.
Conclusion
Ce travail
de recherche vient compléter un travail sur la résistance juive et non-juive
contre la répression nazie entrepris au Théâtre du Rio et présenté en tant que
spectacle en 1977 à Grenoble. Cette recherche permettra, après avoir thésaurisé les
éléments connus, de compléter par une recherche cohérente, la perception de la
résistance de la Ville d’Avon et des Justes parmi les Nations. D'apporter un
nouvel éclairage sur la période concernée. Cette étude devrait répondre aux
questions posées par la relation interreligieuse, aux moments critiques de
l'histoire humaine, et devrait permettre de donner des réponses aux questions
que pose l'héritage conflictuel de la guerre de 39-45, responsable de 60
millions de morts en 6 ans, quelle en est la conséquence pour le citoyen du XXIeme
siècle.
1. Problématique
A partir
d'une étude argumentée, nous proposons de compléter les travaux entrepris par
les prédécesseurs, en nous concentrant sur l’action des résistants au régime
collaborateur et à l’occupation nazie dans la région de Seine-et-Marne et plus
particulièrement dans la ville de Fontainebleau-Avon. Notre recherche se
concentre sur un sujet qui mérite une grande attention car la population de la
Ville d’Avon, représentée par son maire Remy Dumoncel, dévoile une action
organisée et résistante hors pair, qui fut honorée par Yad Vashem. La ville
comptant plusieurs Justes parmi les Nations, reconnus par les autorités
israéliennes compétentes, pour les actions courageuses en faveur de la
population juive de la région et en faveur de la résistance.
Les
premières études générales consacrées à ce sujet sont, sans conteste, celles de
Serge et Béate Klarsfeld. Elles furent suivies, pour les recherches les plus
récentes, par les dossiers publiés dans la revue « Fontainebleau, la revue
d’histoire de la ville et de sa région », notamment par les articles rédigés
par Geneviève Bauchard « Le journal de l’exode de Jules Lanoë »[1]. Alexis Neviaski, dans son article intitulé « Un
couvent et des religieux en guerre, le couvent des Carmes d’Avon (1939-1945) »[2] expose les actes du père Jacques, directeur du
Petit-Collège d’Avon, et des prêtres du couvent qui cachèrent plusieurs enfants
juifs, employèrent comme professeurs des instituteurs soumis au port de
l’étoile jaune et prodiguèrent leur soutien aux réfractaires du S.T.O. Les
actes de résistance de ce couvent des Carmes ont été rapportés par l’entreprise
cinématographique française dans un film signé de Louis Malle, ancien élève au
Petit-Collège d’Avon, témoin de l’entrée de la Gestapo dans le corps du
bâtiment à la recherche des enfants cachés conduits en déportation par les
forces nazies. Cet article est complété par la recherche de Maryvonne
Braunschweig, décrivant la ville d’Avon au temps de la persécution[3]. La libération de Fontainebleau-Avon est analysée par
Jean-Claude Polton, Docteur en histoire et secrétaire général des Amis de la
Forêt de Fontainebleau[4]. Ainsi, en 2014, 20 pages d’une revue d’histoire sont
entièrement réservées aux persécutions nazies, aux nombreux Justes parmi les
Nations de la Ville d’Avon et aux mouvements de la résistance de la région
Fontainebleau-Avon.
L’ancienneté
et la loyauté de la présence Juive dans cette région est exposée par Frédéric
Viey dans un article intitulé « Des soldats Juifs à Fontainebleau durant la
Grande Guerre »[5]. Cet auteur publie par ailleurs différentes
recherches sur la population juive de la région depuis 1991[6][7][8] : Fontainebleau-Avon,
Journal d’une communauté juive de la révolution à nos jours, suivie par Histoire des Juifs en Seine-et-Marne en
2005, puis par Le livre mémorial des
Juifs de Seine et Marne, durant la seconde Guerre Mondiale 1940-1945 en 2008.
Fréderic Viey est également l’auteur d’un article sur le sujet « Les héros
d’Avon », publié sur le site web de Judaïques
Culture, le 28 Avril 2013. Son
article vient compléter celui de B. Pamart, « Ils ont fait l’honneur d’Avon,
Rémy Dumoncel», paru dans le Bulletin
Municipal, 42, en octobre 2007.
Les
Archives de la Ville de Fontainebleau conservent différents ouvrages sur le
sujet, comme celui du père Philippe, Carme Déchaux, Un martyr des camps, le père Jacques 1900-1945,
Paris, Tallandier, 1949. Ce livre, écris par un témoin direct, n’est plus
édité. Par contre, il est possible de trouver le document signé de Jacques
Chegaray, Un carme Héroïque, la vie du
père Jacques, Paris, nouvelle cité, 1988, et de consulter celui de
Christiane Meres, Petite vie du père
Jacques, éditions Desclée de Brouwer, 2005. Il est à noter que les
professeurs d’histoire et de littérature de la région ont conduit les écoliers
de différentes classes à réfléchir sur ce dossier de la résistance régionale et
sur les tentatives de sauvetages d’enfants juifs de leur âge par les prêtres
d’Avon. Les résultats de ces recherches ont été publiés par les élèves, dans un
document centré sur le film de Louis Malle et intitulé Les déportés d’Avon, enquête autour du film de Louis Malle, Au revoir
les enfants, carnet de fouille 60, Foyer des élèves du
Collège
d’Avon, 1988.
Un enregistrement réalisé par Michel Fresnel et Annie-Claude Elkaim, intitulé «
Les enfants du père Jacques », présente différents témoignages : ceux de
Mme Tourtebatte, sœur de Hans-Helmut Michel, caché par les prêtres d’Avon,
dénoncé et mort en déportation. Ce témoignage est complété par celui du père
Carme Victor Sion, par ceux des anciens élèves du Petit-Collège d’Avon,
François-Xavier de Sieyes et Guy de Vogüe, par celui du chef de la résistance,
Albert Ouzoulias et de l’ancien économe Jacques Mathieu. De nombreux autres
témoins, la résidante d’Avon, madame Simone Jourdain ; les rescapés du convoi
67, Monsieur Raphaël Esrail et madame Claudine Hess ; les rescapés du camp de
Güsen, messieurs Louis Deblé, Jean Gavard, et Henri Boussel viennent compléter
les informations sur l’évènement. Ce document est enrichi par des documents
d’époque tournés à Avon en 8 mm par Jean Taisne.
La
bibliothèque de l’ancien Petit-Collège d’Avon présente également différents
ouvrages sur les actes des Justes parmi les Nations au sein des Carmes, à la
période de la seconde Guerre mondiale, comme le document de Frère Philippe Hugelé, Par la croix vers la lumière, le père Jacques de Jésus (1900-1945)
textes des journées de rencontre organisées à la mémoire du Père Jacques les
9-11 juin et 22-24 septembre 1995, Paris, éditions du Cerf, 1999. Cette
étude est consolidée par la publication de 2003, signée de Michel Carrouges, Le père Jacques : « Au revoir les enfants »
publiée à Paris, aux éditions du Cerf, et par celle de 2007, signée par le
collectif de la province de Paris de l’ordre des Carmes Déchaux, Tenir Haut l’Esprit, Père Jacques de Jésus,
Toulouse, éditions du Carmel.
Ces
différentes publications ont apporté un nouvel éclairage sur les interactions
entre les mouvements chrétiens, la population juive et la résistance dans la
région. Elles ont démontré l’importance de la discussion interreligieuse, dans
ce cas juifs/chrétiens, au moment des conflits armés mettant en péril le droit
humain. Certains des témoignages traitent du rapport au divin des frères
Carmes, de l’influence de la Bible et de l’histoire juive, dans le comportement
salvateur de Justes parmi les Nations issus de cette obédience. Elles
démontrent également de l’influence d’une politique organisée autour du droit
citoyen et du devoir civique pour le sauvetage de victimes, femmes et enfants,
souvent dénoncées par des pères, des hommes chargés de famille imposant des rapports
de violence et sauvées par le courage de responsables politiques comme Remy
Dumoncel et son équipe de la Mairie d’Avon. En contrepoint les articles sur
l’occupant nazi dévoilent l’organisation rigoureuse et une morale criminelle,
excluant toute conception du divin et du respect de la liberté citoyenne chez
les agresseurs. L’éducation morale des écoliers a été suivie par les
professeurs de la région en 1988, 44 ans après les faits et l’influence des
témoignages sur la population citoyenne ont été mémorisées par la publication
de nombreux articles sur le sujet dans la revue d’histoire locale en 2014. Il
semble donc que la décision de Yad Vashem d’attribuer les titres de Justes
parmi les Nations à plusieurs des citoyens de la région et aux prêtres, comme
l’impact de l’œuvre fictionnelle basée sur les souvenirs biographiques de Louis
Malle, aient été d’une grande importance pour la sensibilisation du problème
posé par le devoir de résistance. En effet, la mairie de cette région est
réellement identifiée comme résistante et ayant développé un premier concept de
résistance administrative, mettant en place une politique humanitaire en faveur
des plus vulnérables et divergente de la politique nationale dirigée par Laval.
A
partir des années 80, le devoir citoyen envers tout civil, le respect des
droits de l’homme, le droit à la sécurité des mères, des femmes et des enfants,
quelles que soient les origines sociales, ethniques, religieuses, semble être
conforté par la reconnaissance des actes de la génération antérieure, à travers
les hommages publics, les écrits, les programmes scolaires, les œuvres
cinématographiques, biographiques ou fictionnelles et les oeuvres théâtrales.
Mais
cette reconnaissance est-elle suffisante pour maintenir dans une société contemporaine,
les valeurs défendues par la mairie d’Avon à la période définie ?
L’objectif de cette recherche est d’interroger
l’influence des valeurs éducationnelles, des valeurs de la laïcité, de celles
de la religion, sur les actes de résistance pendant la période de la
résistance. Le Juste parmi les Nations, chrétien et carme, le père Jacques se
veut avant tout un éducateur. C’est en ce nom qu’il prit la responsabilité
d’ôter du circuit de la déportation, des enfants juifs et que suite à une
dénonciation, il en a partagé le destin. Il décède à 45 ans, des suites de
déportation à Mauthausen.
Notre
étude se divise en deux points : la part laïque de la résistance, et la
part religieuse. Elle analysera l’influence du patrimoine spirituel sur les
actions de ce prêtre et de son entourage religieux. L’influence de ce que
représente pour lui, le prophète Elie, dont les Carmes assument la parole et
l’autorité biblique. Une importance est particulièrement accordée aux
différentes stratégies utilisées par les nombreux membres laïcs de la Mairie
d’Avon pour sauver les citoyens mis en danger.
Tandis que
l’ambiguïté des notions comme la puissance politique et armée sur une
population civile, les notions de devoir et d’obéissance, le droit au
renseignement par la torture, la ségrégation administrative, l’application de
lois de déportation et d’élimination seront étudiées en fonction des actions
entreprises par les représentants du pouvoir nazi, laïc, en place dans la
région et par l’action de sa gestapo et de la milice sur la population locale à
la période concernée. Une analyse des discours des représentants au pouvoir est
un enjeu clef pour comprendre le discours et l’action d’une Mairie dévouée aux
valeurs de la résistance. Les implications d’une autorité civile, s’opposant
par différentes actions à l’autorité politique en défiant le rapport de force,
sont abordées par l’étude du fonctionnement de la Mairie d’Avon à la période
concernée, complétée par celle de la police et de la gendarmerie locale, dont
certains des membres ont accomplis de nombreux actes de résistance en soutien à
la population civile.
Dans
son mémoire sur la Résistance française Paul Giniewski écrit :
«
Dans cette France ou nous étions environnés de tant de détracteurs, de
pétainistes, de délateurs, de dépisteurs de faciès juifs… j’ai découvert le
monde parallèle, sous-jacent des Justes, cette catégorie de mainteneurs, de
restaurateurs, de gardiens de l’ordre du monde à qui l’on a décerné à juste
titre, la médaille israélienne et d’autres, plus anonymes, restés ignorés qui
la méritaient aussi…Ils ont risqué leur vie en se joignant à notre combat. Les
uns savaient qui nous étions, d’autres ne le savaient pas. Les uns ont caché des
Juifs spontanément, d’autres, leur ont ouvert leur logis, ont partagé leur pain
avec eux…A un certain moment ils ont entendu l’appel d’un pasteur, d’un évêque,
d’un Gaulliste, ou d’un communiste qui les ont exhorté à se conduire en
Chrétien, en Français, en Homme et ils ont répondu à l’appel. Peu importe leur
motivation, leur couleur politique, leur religion. À cause de ces Justes, je me
suis senti moins abandonné. C’est une chose prodigieuse pour un Juif de
découvrir des non-juifs qui le défendent, prennent des risques, le risque
suprême, mettent leur vie en jeu pour nous protéger…je me suis demandé si un
non-juif peut réaliser ce que représente pour nous ce prodige »[9].
Ce
paragraphe de Giniewski démontre de l’importance pour la survie humaine, le sens
égalitaire et le bien-être social des citoyens, et pour la mise en place d’une
société harmonieuse, de l’éducation des sujets aux valeurs morales, religieuses
ou laïques impliquant des risques mais permettant de conserver la part
défensive du plus faible dans un rapport de force inégal. Car en effet, dans
cette région de Seine-et-Marne, l’histoire de 39-45 éclaire de manière limpide,
l’implication politique de l’inégalité des rapports de force sur le citoyen.
L’œuvre
cinématographique de Louis Malle s’est penché sur ce rapport de force au sein
de la société préservée des écoliers du Collège d’Avon de cette époque. Cette
œuvre conserve son impact en 2014. Les œuvres de Brecht, dont Grand peur et misère du troisième Reich,
ont traités de cette importance de l’inégalité des rapports de force sur la
population. Le théâtre, comme le cinéma, la littérature, mais aussi tout autre
support artistique, sont des outils opérationnels quant à l’expression d’une
conservation de la mémoire et d’une sensibilisation de la population. Nous
examinerons l’influence des différentes conceptions débattues à cette période
dans cette région et leurs ascendants sur les actes héroïques de certains de
ses citoyens.
2. Méthodologie
L’organisation
de cette partie s’établie en deux sections :
A –
L’analyse
systématique des critiques, articles, études des prédécesseurs et la méthode de
dépouillement systématique de toutes les informations, les références
historiques et les Archives, les notes et commentaires apportés par les
sources, permettront de confronter les conceptions des citoyens d’Avon,
résistants, Justes parmi les Nations, ou déportés avec celles des tenants du
rapport de force.
B
– Cette
recherche tente d’identifier la stratégie des différentes organisations
résistantes de la ville. Ses réussites et ses échecs. Elle se base sur
l’identité des résistants et leur mode d’action, leurs stratégies défensives
pour une bourgade de 4 480 habitants éprouvée par la répression (23 déportés)
pour avoir accompli des actions de résistance dont le sauvetage d’enfants
juifs. Cette section enquête sur les victimes, leurs caches sur le terrain,
leur périple et leur destin. Cette section se base sur les données répertoriées
et les noms déjà relevés : Les citoyens non-juifs comme Gaston Laidin, dénoncé
pour détention d'armes et déporté en mai 1944 ; Henri Mireux (déporté et mort à
Buchenwald), Gaston Sinet (déporté en 1943 et décédé à Bergen-Belsen). Gabriel
Georges (décédé en Allemagne en juillet 1944) ; le résistant Guy Borel,
fonctionnaire des postes (mort à Dachau en juillet 1944) ; René Teinturier,
instructeur militaire, qui procure des armes aux résistants et leur en
enseigner le maniement (arrêté en
juin 1943, il meurt à Mauthausen)[10]. Les résistants, en lien avec la Mairie d’Avon, comme
le Capitaine Léon Guéneau, officier de carrière, chargé à la demande du maire
Remy Dumoncel
de la responsabilité de la cantine scolaire de la ville d’Avon9,
citoyen d’Avon dès 1934,
arrêté le 3 mai 1943 aurait été, par l’intermédiaire du colonel Fournet, un des
responsables ou un agent de liaison du mouvement de résistance CLB, Ceux de
LibérationVengeance, dirigé par Lecorre (Colonel Schimpf). « Il était chargé du
recrutement, des actions de sabotage, de repérage des itinéraires ferroviaires
des troupes allemandes, de trouver des endroits favorables pour les dépôts
d’armes et de munitions, de chercher les terrains d’atterrissage… »[11].
Selon le fils de Remy
Dumoncel, Guéneau aurait été chargé de la mise en place de documents d’identité
pour les apatrides : « C’est lui qui devait alimenter en fauxpapiers la Mairie
d’Avon en échange de cartes d’alimentation. Il fut arrêté par la Gestapo chez
lui, rue Charles Meunier, à Avon. Son arrestation a posée de sérieux problèmes
à mon père et à Mathéry. Il fut déporté sous l’étiquette Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard ». Selon
Dumoncel
fils, son père aurait dit : « il ne reviendra jamais »[12]. Paul Mathéry, secrétaire de la
Mairie
d’Avon, qui a sauvé femmes et enfants par la mise en service des papiers
administratifs. Mathéry est arrêté le 15 janvier 1944 par la gestapo, accusé de
faire des « faux papiers ». Le père Jacques, carme, directeur du Petit-Collège
d’Avon est arrêté par la gestapo, ainsi que trois élèves du petit Collège
d’Avon, le 15 janvier 1944. Le prêtre est accusé d’avoir « caché » ces enfants.
Les enfants sont accusés d’être Juifs. Lucien Canus, chargé du ravitaillement à
la mairie d’Avon, est arrêté le 29 février 1944. Aristide Roux, adjoint au
maire d’Avon, Etienne Chalut-Natal, adjoint au maire d’Avon, Charles Ziegler,
d’origine hongroise, employé municipal et traducteur de la mairie d’Avon, sont
arrêtés le 4 mai 1944.
Remy
Dumoncel, maire d’Avon, arrêté le 4 mai 1944 à 18h 30, à la sortie du train
ParisAvon. Prévenu à Paris, de l’incarcération de ses adjoints dans la journée,
le maire d’Avon décide de les « accompagner dans leur captivité », et monte
dans le train pour Avon sachant qu’il sera arrêté à la gare. Remy Dumoncel, le
Père Jacques, Paul Mathéry font partis des Justes parmi les Nations inscrits à
Yad Vashem[13].
Sont
également comptés parmi les résistants de la ville, René François qui rejoint
les forces aériennes gaullistes en 1942, André Levasseur, éduqué par le père
Jacques des Carmes et Ouzoulias, maquisard[14]. Les Archives de Fontainebleau mentionnent également
les actions de résistance de différents religieux de la région, comme celles
accomplies par l’abbé Abalin curé de Brégy qui indique aux résistants une tombe
vide et cimentée, inutilisée au cimetière, où sont entreposés les explosifs et
les armes[15].
Les
victimes, comme les cinq citoyens d’Avon et le citoyen de Thomery, fusillés par
les nazis en mai 42 sont nommées dans La
Marseillaise de Seine-et-Marne datée du 12 octobre 1945. Un court article
mentionne Raymond Lecuyer, père de 3 enfants, Roger Bontemps, père de 5
enfants, Lucien Richard, Armand Guillot, père de 5 enfants, Robert
Vielle,
père de 7 enfants et leur camarade Maurice Courtot de Thomery, père de 3
enfants. Partis chasser en forêt, en début de printemps, dans l’espoir
d’améliorer les rations alimentaires de la trentaine de personnes qu’ils
avaient à charge, femmes et enfants, ils sont surpris par une patrouille
allemande qui ratissait le terrain suite à une délation. Condamnés à mort, ils
sont exécutés huit semaines plus tard. La femme de Robert Vielle témoigne
: « La nourriture était rare. Ils sont
partis chasser en forêt. Les Allemands ont organisé des rondes…Ils ont tiré sur
eux. Mon mari a été blessé. Un médecin, le Dr. Desclaux, est venu le soigner à
la maison. Quelques jours après, ils ont été arrêtés à leur domicile les uns
après les autres. Le jugement a eu lieu rue Royale à Fontainebleau. Ils ont été
condamnés à mort. Ils avaient trois jours pour obtenir leur grâce. Ce qui n’a
pas été respecté, car les Allemands les ont fusillés deux jours plus tard sans
attendre la réponse à la demande de grâce adressée par le maire, Mr. Remy
Dumoncel. Les six hommes ont été fusillés le 13 mai 1942 à la Glandée en forêt
de Fontainebleau »15.
Le
maire, Remy Dumoncel, fera prendre en charge par les services municipaux les
rations alimentaires des femmes et des enfants des déportés et des fusillés de
sa commune.
Les
listes d’arrivée à Drancy répertoriées par Serge et Beate Klarsfeld confirme
l’arrivée en camp de Drancy, le 21 octobre 1942, de trois personnes de
Fontainebleau-Avon : Une femme d’origine russe, née le 21 février 92, Khimia
Waisler et le couple polonais Jacob et Ita Gerstztenkorn, nés en 86 et 87 à
Varsovie. Le 21 mai 43, le couple Erligmann, Joseph né le 10 décembre 71 et
Rebecca, née Grossman en Russie le 10 janvier 75. Ils vivaient 16 rue Pasteur à
Fontainebleau-Avon. Le 16 juin 43 le couple Zilberberg rentre à Drancy. Israël
est né le 23 février en « Irean »[16] en 1902 et son épouse Denise, plus jeune de douze
ans, née
Kotler le
25 mai 1914, vivaient au 22 rue de Neuville à Fontainebleau-Avon. Tout d’abord
séquestrés à Melun, le couple Novochbleski, René dit Jacob, né dans le second
arrondissement de Paris le 27 février 91 et Hélène née Chiger dans le 4ème
arrondissement à Paris, le 13 juin 80, plus âgée que lui de 9 ans, était
également domicilié au 22 rue de Neuville à Fontainebleau. Ils arrivent à
Drancy le 29 juin 43. Les Zilberberg et les Novochbleski étaient voisins. La
famille Sephiha de Constantinople, Mayer, né en novembre 85, son épouse Fanny,
née Levy le 10 janvier 93, et leurs enfants, Claire, née le 10 août 19 à
Levallois-Perret, et Victorine-Renée, née le 27 juillet 17, dans le onzième
arrondissement de Paris, vivait au 37 rue Saint-Honoré à Fontainebleau. Ils
arrivent ensemble au camp de Drancy[17]. Il est ä noter
la famille juive d’origine grecque, Hieshan et son épouse née Chaki Léa
Levi et leurs enfants, résidents 13 bis rue du 14 Juillet[18]. Il semblerait que les victimes de la ville, soient
d’abord regroupées à Melun puis transférées à Drancy. En été 44, il n’y a plus,
sur les listes nationales de citoyens « déclaré juifs » à Fontainebleau-Avon.
Les actions des
autorités nazies et celles de la Gestapo sont analysées en fonction des
informations retranscrites par les services des Fonds B.N.F. Gallica, L’Organe régional des mouvements unis de
résistance Provence Libre 1944 ; les Rapports
de délibération Conseil Général Préfecture de Seine et Marne 1945/11, le Rapport du Directeur départemental Service
des Prisonniers de guerre, Déportés et Réfugiés. Ces archives ont mis à
disposition des informations importantes. L'étude critique se portera donc sur
l'évolution et sur l'interprétation des stratégies employées au cours de cette
période et dans cette région. L’analyse des personnages engagés dans le
conflit, les solutions proposées au problème de la répression et de la
sauvegarde citoyenne dans cette période seront au centre de l'enquête.
Conclusion
Ce travail
de recherche vient compléter un travail sur la résistance juive et non-juive
contre la répression nazie entrepris au Théâtre du Rio et présenté en tant que
spectacle en 1977 à
Grenoble. Cette recherche permettra, après avoir thésaurisé les
éléments connus, de compléter par une recherche cohérente, la perception de la
résistance de la Ville d’Avon et des Justes parmi les Nations. D'apporter un
nouvel éclairage sur la période concernée. Cette étude devrait répondre aux
questions posées par la relation interreligieuse, aux moments critiques de
l'histoire humaine, et devrait permettre de donner des réponses aux questions
que pose l'héritage conflictuel de la guerre de 39-45, responsable de 60
millions de morts en 6 ans et son sens, pour le citoyen du XXIeme
siècle.