lundi 21 novembre 2011

CE MATIN A L'AUBE DE JOSHUA SOBOL ( extraits)

CE MATIN A L AUBE
OFFENSEURS et TRANSGRESSEURS
Joshua  SOBOL
Traduction Sh. Saskia Cohen Tanugi
2011

Personnages

ELLE, LAYLA: 43 ans, professeur de littérature anglaise
LUI, NOUR   : 26 ans élève et amant de la femme


Lieu

Dans n'importe quel pays où cela pourrait avoir eu lieu. La terre  est stérile et aride. Un mur en béton ferme l'horizon. Le mur est couvert d'impact de balles.

Temps
Epoque contemporaine.

1 er séquence – ENTERREE VIVANTE

Un homme jeune, creuse une fosse à quelques pas du mur. LUI. Il est debout jusqu'à la taille dans la fosse. Il vide la terre de la fosse, et la déverse sur un amas à côté de la tranchée. Il saute hors de la fosse.

Il sort de scène. Il revient chargé d'un étrange fardeau.  Le paquet ressemble à un corps humain enroulé dans un épais tissu clair. Une cagoule noire recouvre entièrement la tête de ce corps engoncé.  Il fait glisser le corps humain dans l'ouverture étroite de la fosse. Le corps reste droit, jusqu'à la taille,  à demi enfoui dans la fosse. L'homme commence alors à déverser une partie de la terre dans la fosse.

La personne au visage masqué par la cagoule, commence à parler. C'est une voix de femme.

ELLE : Belle journée, n'est ce pas?

LUI   (Il cesse son travail et jette un coup d'œil autour de lui.  Il découvre la beauté de la journée. Il jette un regard furtif sur la femme. Surpris de voir qu'elle est capable de ressentir  quelque chose que lui, ne voit pas.  Puis il reprend son travail.)

ELLE   Des nuages, dans le ciel?

LUI     (un coup d'œil sur le ciel)

ELLE Non,  pas un seul nuage. Le ciel est clair. Le soleil, déjà brulant. Vraiment une journée splendide.

LUI (il acquiesce tout en continuant son travail, enterrant la femme dans la fosse, jusqu'à la poitrine)
ELLE  Je peux le ressentir sur ma peau. Ses rayons traversent le tissu.  Ils glissent sur ma peau avec douceur. C'est bon de sentir cette douce chaleur du soleil. Toi, tu dois la sentir aussi, n'est ce pas?

LUI (Il regarde le soleil qui se lève. Il en ressent la chaleur. Puis il reprend son travail)

ELLE  Le soleil ne me craint pas. Il me caresse de ses doigts chaleureux. Non, le soleil n'a pas peur de moi. C'est un soulagement. Qu'en penses-tu?

LUI (Il cesse de travailler un instant et fixe le soleil des yeux)

ELLE Oui, tu le penses. Je peux déchiffrer tes pensées. Faut-il que je te révèle à quoi tu penses en ce moment?

LUI  (Il la regarde. Puis jette un regard furtif avec inquiétude derrière lui. Puis tourne son regard inquiet vers la femme.)

ELLE  Tu pries. "Oh Dieu, faites taire cette femme. Ne la laissez pas dire ce que je pense." Tu as peur de dire un mot. Mais je peux entendre tes pensées. Je peux sentir ta peur. Elle a une odeur forte.

LUI (Il lève son bras droit, hume son aisselle et il refait le même geste avec son bras gauche.)

ELLE Tu essaies de trouver l'odeur. Ca ne marchera pas.  Ils t'ont écorché les sens à coup d'épouvante.  Tes yeux sont aveuglés par la peur. Tes oreilles sont assourdies par la terreur. Tu ne sens plus l'injustice qui t'oblige à répondre.  La terreur t'a déjà rendu sourd à ma voix. Ou alors, peux-tu encore m'entendre?

LUI (Il regarde furtivement autour de lui avec suspicion, il n'ose pas faire le moindre bruit)

ELLE Est-ce que tu m'entends?

LUI  (il retient sa respiration)

ELLE   Oui, tu m'entends. Tu as cessé de respirer. Je peux l'entendre. Tu retiens ton souffle.

LUI (il recommence à respirer)

ELLE  Je sais que c'est toi.  Je t'ai entendu, j'ai reconnu tes pas dans le couloir de la prison. J'ai su que c'était toi, avant même que tu ne pénètres dans ma cellule.  Je ne savais pas quoi penser. Beaucoup d'hypothèses se sont bousculées dans ma tête, à la vitesse de la lumière. J'ai voulu t'appeler par ton nom.  Mais j'ai été encore assez vive pour arrêter ton nom avant qu'il ne franchisse mes lèvres. Je me suis dis à moi-même: Peut être, qu'ils ne le savent pas, c'est toi.  Je ne leur ai jamais révélé ton nom. Je savais qu'ils ne pourraient pas le retrouver dans mes papiers ou dans mon ordinateur.  Tu sais que je n'ai jamais utilisé ton nom, ni dans notre correspondance, ni dans nos mails, ni dans nos messages. Je ne l'ai jamais inscrit dans mon journal,  nulle part. Je n'ai jamais non plus, révélé ton nom à qui que ce soit. Pas même à mes amies les plus proches. Est-ce que tu peux  imaginer qu'elle a été l'idée, ensuite,  qui a jailli dans mon cerveau? J'ai pensé qu'une révolution avait eu lieu. Que le régime avait été renversé et que tu venais me libérer de ce cachot. J'attendais  que tu m'enlèves cette cagoule noire qui me recouvre la tête. Que tu me découvres les yeux et que tu me délies les mains. Mon cœur, au bord de mes lèvres, quand tu m'as soulevée du sol et que tu m'as emporté dans tes bras hors de la prison. J'étais tellement heureuse que j'en ai perdu la voix. A l'instant j'ai voulu t'appeler par ton nom, mais je n'ai pas pu proférer un son. Et puis tu m'as enfouie dans ce trou dans la terre, et quand tu as commencé à bêcher, à remplir de cendre la fosse, j'ai perdu courage.  J'ai tout compris. Ils vont me lapider à mort, n'est ce pas?

LUI  (il la regarde brièvement. Il soupire)

ELLE Merci beaucoup. Merci de ne pas m'avoir menti. Tu aurais pu facilement me dire, "non". Mais tu ne l'as pas fait. J'ai du respect pour  ton honnêteté.  Ce n'est pas très commun, ni très banal, dans cette période noire que nous vivons. Je ne prends rien pour acquis. Dis-moi…

LUI (Il s'arrête et la regarde)

ELLE  … S'il te plait… ôte moi ce voile de la tête. Je t'en prie. Accorde-moi cette dernière faveur. Je ne te demanderai rien de plus. Je veux voir la lumière du jour avant que l'obscurité finale ne me ferme les yeux. Je veux voir le ciel et le soleil. Et je veux voir. C'est tout. Juste voir pour la dernière fois.

dimanche 20 novembre 2011

MIRIT COHEN A LA GALERIE GORDON DE TEL AVIV

MIRIT COHEN, La solitude de Kafka et la force de Giacometti
Par Shoshana Saskia Cohen Tanugi

La Galerie Gordon ouvre ses portes à partir du 17 Novembre jusqu'à la fin de Décembre à l exposition posthume d'une des plus grandes artistes issues de l'alya Russe. D'une sensibilité exacerbée par la shoah et ses conséquences, Mirit Cohen ne parvint pas à survivre longtemps.  Non-conformistes, intenses, émotives, ascétiques, ses œuvres sont marquées par la douleur, par la solitude d'une féminité fragilisée. Tracées en encre fine, noire, ses silhouettes sont tension et énergie, en ce sens, elles font parties de l'école de Giacometti. Isolées dans les mailles de fer de savantes lignes sombres, elles expriment les émotions d'une artiste d'exception.

Née en Ouzbékistan en 1945, elle est la fille de Haïm Cohen, un élève de la Yeshiva de Lodz, qui se réfugia en Sibérie pour échapper au nazisme. La sœur de Haïm refusa de partir. Elle fut assassinée à Babi Yar.  Soigné pour le typhus, il rencontra à l'hôpital d'Ouzbékistan, Rivka Zeidenberg. Mariés, ils décidèrent ensemble de faire l'alya. Le long périple vers Israël dura trois ans dans la précarité des différents camps de personnes déplacées. Arrivés à Haïfa avec Mirit âgée de 3 ans et sa sœur, ils furent refoulés par les forces anglaises et envoyés en camp à Chypre. La création de l'état d'Israël en 1948 et l'installation dans un premier camp de transit, les sauve du désespoir. Haïm Cohen participe à la bataille de Latrun et à celle de Sha'ar Hagai. Enfant israélienne, Mirit Cohen exprime son bonheur de vivre en relation avec la nature et les paysages de cette terre. Son professeur Hava Ratzon remarque son talent exceptionnel et envoie ses premiers dessins au Japon pour le concourt international du dessin d'enfant. Mirit a 13 ans, elle remporte le premier prix. Elle étudie à Bnei Brak, accomplit ses années d'armée comme instructeur à Kiryat Malachi. Mais c'est vers l'art qu'elle se tourne définitivement.  Elle étudie au collège d'Art Kalisher de Tel Aviv puis sous la direction de Raffie Lavie qui note immédiatement la force de son travail au collège d'Art de Ramat Hasharon. Ses dessins crient le désespoir du XXe siècle. On l'appelle la Frida Kahlo de Judée, elle se veut fille de Van Gogh. Ses figures abstraites, son intelligence de la représentation des émotions vives lui ouvrent ses premières expositions dont celle de New York en 77. Malgré son talent exceptionnel le 3 mai 1990, elle se jette dans le vide, à New York et meurt des conséquences de la chute. Elle laisse un mot : " Je me suis levée, j'ai mangé, dormi, marché. Je n'ai plus la force de continuer."
Des expositions posthumes sont organisées à New York en 91, au Musée de Jérusalem en 94, au Musée de Tel Aviv et à l'Ulmer Muséum en 98. Ses œuvres appartiennent aux collections nationales du Musée de Jérusalem, à celles du Musée Minneapolis du Minnesota, à celles de la Galerie Nationale d'Art de Washington, à celle du Musée d'Ulm, en Allemagne. Son oeuvre représente la féminité déchirée par l'histoire du XXe siècle. Le parcourt tragique de cette artiste israélienne devrait permettre d'ouvrir une réflexion sur les conditions de l'art et de la création au Proche Orient. Elle fut splendide, l'œuvre est magnifique, le parcourt de douleur fut une entrave à la créativité. Les artistes israéliens méritent d'être soutenus, aidés, accompagnés, ils sont la représentation sensible du peuple d'Israël. Ils sont une partie de notre âme, notre regard sur le monde.
GALLERY GORDON 95 Ben Yehuda St. Tel AvivTel 03 52 40 323
Lundi au Jeudi de 11:00 à 19:00   Vendredi 10:00 à 14:00 Novembre Decembre 2011