vendredi 9 mars 2012

LES DEUX JEUNES FILLES DE NETANYA CONTE POUR ENFANTS EXTRAITS SCT

Tout ce qui va suivre, est une  histoire qui ressemble à une histoire vraie. Oui, nous existons, nous sommes dans la ville et si vous traversez la rue centrale, la plus belle du monde, la rue Herzl de Netanya, alors vous nous croiserez certainement. Passants, souriez  au moins à la jeune fille qui passe.  Elle est comme moi,  avec ses talons dorés et ses chapeaux colorés, elle n’attend qu’un bonjour amical, un appel de la vie pour continuer à marcher sous le soleil malgré les attentats, le manque d’argent et les peurs parfois. Moi, je m’appelle Liya et j’ai 15 ans. J’aime les bonbons achetés au kikar hatsmahout, j’aime les croissants du marché, les robes de Honigame, les pulls de chez Castrala et les jeans de chez fox-trot,  la prof de pensée juive de mon lycée Bar Ilan,  la morah vardit - c’est la plus belle femme du monde après ma mère -  la morah Ricky Shuks, c’est la plus gentille prof de la terre et j’aime le vendeur de journaux sur sa bicyclette qui a toujours un journal mickey pour moi.
On est sacrément heureux quand on a 15 ans et qu’on vit à Netanya!

Connaissez-vous Netanya? C’est une des plus jolies villes d’Israël. Elle est allongée sur la mer  en une ligne  joyeuse de maisons blanches et d’immeubles élégants.  Tous plus charmants les uns que les autres. Ma mère appelle la ville : « Le bouquet de la mariée » - je lui demande « pourquoi »  Elle me répond  en dessinant à la craie sur la porte de bois bleue de la cuisine, un plan de la ville : «  là, c’est la rue Narkis, là, la rue Myosotis, là,  ‘’‘la via Iris plus loin la rue des citroniers… Cette avenue là, Weissman, ressemble au ruban qui lie les fleurs les unes aux autres  et celle-ci, Even Gevirol, plus éloignée du centre, c’est le parfum des fleurs qui accompagne la ville… » comme le dessin sobre de la ville, architecturé avec  grâce et tendresse autour des petites allées  parsemées de fleurs et d’arbres méditerranéens est resté sur la porte plusieurs semaines, j’ai ajouté une étoile rouge à la craie, là où il s’était passé quelque chose d’épatant avec les copains.
La ville, moi je l’aime. J’aime  le parfum  du jasmin  qui rivalise avec  celui des fraisiers.  Le thym et les buissons de fleurs jaunes au-dessus de l’air iodé de la promenade. Les frangipaniers côtoient des flamboyants et un petit théâtre de verdure est ouvert à la lune, le soir, face aux ressacs, près du restaurant Tulip, on se retrouve pour manger une glace de chez Tito.  Des femmes religieuses, cheveux couverts  viennent faire jouer leurs petits près de nous. Doudou joue de la guitare et nous on chante les airs de Ninette, la plus mignonne.  Nous, on vient s’asseoir auprès des chats gros comme des sculptures égyptiennes. Les amoureux se croisent, les russes échangent des parties d’échec et les éthiopiennes viennent rire en goûtant des biscuits. Des éthiopiennes, il y en a quatre dans ma classe et elles sont toutes très belles. Elles sont courageuses aussi, et Houhorit est la meilleure en thora. Elle sait toute la torah par cœur, elle n’a pas la télé et elle apprend chaque jour une page avant de s’endormir. Elle dit que ça éloigne les douleurs. Moi je crois que ça lui donne de l’espoir : C’est sa Hatikva à elle. Lire le Livre. Elle est un arbre: Elle trouve toujours une feuille pleine de mot dans ses branches pour consoler nos douleurs. Elle a une phrase apprise par cœur qu’elle transmet comme conseil dans le moment de douleur : « toutes les lettres et tous les mots des prières sont des précieux bouquets de fleurs, cueillis dans les champs surnaturels. Et tu dois t’avancer pour en cueillir d’avantage. » Elle est un arbre d’Israël fort et intègre qui sait ce qu’il veut et qui a sa place sur cette terre. Lélya, la prof d’anglais venue de France - on l’adore, la prof Lélya -elle était une grande chanteuse d’opéra, mais une histoire d’amour lui a brisé le cœur alors elle a tout quitté, elle s’est tournée vers les dames de la synagogue et est venue vivre à Netanya chez une cousine dans la rue du rav kook, non loin du kikar hatsamout.  Elle dit toujours que le prochain président d’Israël sera éthiopien et qu’il sera une femme. Elle dit que ça fera partie de l’histoire d’Israël, de la Reine de Saba, au Roi Salomon, de Moshé à sa femme, Tsipora et que si l’on veut un troisième temple il faut commencer à le bâtir avec nos âmes et notre bonté.  Comme prof d’anglais elle nous fait toujours la leçon sur la meilleure manière de bâtir le Temple.  Quand il pleuvait des kassam à Sdérot elle est partie y passer tous ses shabbats, elle a fait ses courses là-bas et elle est restée jusqu’à la sortie de shabbat. La ville était propre, impeccable, les gens continuaient à vivre comme d’habitude. Elle racontait que dans la ville  il y a un jardin d’enfant  et qu’au-dessus, pour le protéger des kassams, ils ont construit un hangar de tank, avec un toit énorme de béton énorme.  Elle dit que  ça prend une heure  le voyage de Netanya à Sdérot et qu’il y a beaucoup de copains qui seraient heureux d’être ici avec nous ;  qu’il suffit de les inviter et qu’ils passeront  le shabbat à la maison : Elle est rentrée comme prof au collège des filles à cause de son histoire d’amour ratée et on la croise parfois dans les couloirs, un mouchoir sous le nez, les yeux rouges a pleurer ses grands amours perdus. Y en a qui disent qu’elle les a vécu dans les livres.  Les cheveux cachés sous ses chapeaux de feutrine brune «  qui ont été dessiné pour Catharina Hepburn » c’est ce qu’elle dit toujours. Mais la prof Lelya, elle en démord pas de l’Ethiopie. Elle dit qu’on a un travail entre nous tous à faire, pour que l’on s’accepte les uns les autres, parce que un monde meilleur, ça ne s’attrape pas comme du nougat.  C’est ce qu’elle dit la prof Lelya.

Il faut savoir que dans les villes, il y a des joueurs de cartes, des joueurs de dominos, des joueurs d’échec et des joueurs de vie. Ils jouent notre histoire et nous survivons au-dessus d’eux, comme les oiseaux blancs dans le ciel -  les albatros - ou comme les aigrettes fines, dont les pattes aristocratiques dansent sur le bord de la plage de Netanya.


Netanya, c’est la ville de la mer, du soleil des fleurs et des oiseaux. Au souk de la ville, entre les allées des fruits rouges et les légumes odorants, il y a des vols d’hirondelles et suivant les saisons, on voit une cygogne se prendre dans les fils des vendeurs de gâteaux sucrés. C’est la ville où l’on parle italien, anglais, français, hébreu, arabe, russe, éthiopien, Yiddish et avec les mains,  moi j’arrive même à parler avec les pieds. Mais c’est quand je vais très bien. Il y a besoin d’argent ici, d’argent pour manger, pour s’habiller, pour les livres et vivre, comment payer les maisons, l’électricité, le gaz, l’arnona ? Maman ne gagne pas beaucoup. Et parfois, papa ne ramène rien. Il y a des jours où on mange des pommes de terre, toute la famille, le plat. La prof d’histoire de l’art, Tsili dit que c’est comme Van Gogh. Il y a un tableau de Van Gogh où toute la famille est réunie autour d’un plat de pomme de terre. Il y a toujours des problèmes d’argent. «  C’est la poisse, l’argent » dit mon  frère. Mon frère s’appelle Narshon. Ma mère l’a appelé comme ça parce qu’il est venu au monde
le premier et qu’il était déterminé, « comme Narshon a traverser la mer rouge en entraînant à sa suite les hébreux vers le Sinai, pour recevoir la torah. »  Narshon fait du surf sur la plage Sironi ; Il a travaillé à la voie lactée pendant huit mois pour se payer la planche, la tenue et les cours. Il n’a fait que ça et avec l’ordinateur, il étudie les sciences de l’informatique.  Il a quitté la yéshiva1 de Jérusalem où il étudiait après l’armée. L’armée, il l’a fait dans les Golani.  Il était à Gaza la plupart du temps, sinon, basé sur le plateau du Golan. Il était religieux, maintenant, il ne l’est plus. Il dit qu’à l’armée, il a ses meilleurs amis, c’est là qu’il a rencontré Asher : Asher habitait à Poleg, à Netanya, ils n’étaient pas dans le même lycée.  Asher est sportif. Asher court tous les jours huit à dix kilomètres en bord de mer.
Asher pense que rester dans la même ville, la même rue, le même pays rend gras et stupide, il est parti en Inde, puis en Australie et ensuite, il s’est engagé dans greenpeace. Il est allé jusque dans l’antarctique.  Là bas, il a rejoint un groupe qui creusait sous la glace.  Ils ont découvert un lac. Il m’a raconté que la glace était bleue, d’un bleue si  intense que la véritable  beauté du blanc, c’est en fait, la couleur bleue turquoise qui se cache dans la glace, comme l’étoile bleue sur le drapeau d’Israel. Il m’a raconté, blanc et bleu turquoise dans le cœur.
Asher parle comme ça tout le temps, d’espions, d’armes hyper-sophistiquées, il dit : « Les plus beaux films sont ceux qu’on écrit jamais »
Je lui ai demandé : « alors comment on sait que ce sont les plus beaux ? »
Il m’a répondu : « parce qu’on les garde dans sa tête et qu’on les oublie et quand on oublie, c’est qu’on en sait assez. On n’ en a plus besoin. »
Mais un jour Asher a reçu une carte d’Australie où il y avait écris dessus :
« Je voulais te dire que je t’aimais et que si tu as du temps pour moi, je t’attends »
C’était signé par le nom d’une jeune fille qui travaillait avec lui sur le bateau de Greenpeace, Clara, il est parti. On a su qu’il s’était marié avec Clara, et qu’ils avaient eu 6 enfants en Nouvelle –Zélande !
Parfois je cherche un peu d’Asher  entre les pages de géostratégie sur l’encyclopédie.
Entre les sommeils endormis ; Entre les silences.
Je me souviens d’un message mail envoyé par lui à mon frère,  il y a très longtemps :  « Je sais qu’ils se sont battu contre moi, que veux-tu je faisais parti des forces d’action anti-terroristes, ça m’a épuisé,   voler ma conscience et dénaturer ma pensée…
Mais si tu es là viens me chercher
Te souviens-tu de ce qu’on appelait Chimérie
« Rappelle –toi comme on riait en disant :  Notre voisine est malade d’une maladie étrange : la chimérie. »
Mon frère a répondu :
« Une maladie des mots ça se soigne avec des mots.»
Alors Asher a écrit à mon frère :

« Depuis pour échapper à la douleur, la voisine a inventé un remède de mots, elle vit dans des chimères qu’elle raconte à haute voix. La chimère, c’est un monstre, c’est à dire quelque chose composé en plusieurs parties. C’est cela la maladie de ma voisine. C’est une pensée et une parole et des actes en plusieurs parties.  Souviens toi, Narshon : Après un attentat, le choc, le bruit, les véhicules,  la mort absurde et inattendue conduisent le cerveau à développer une chimèrie. Souviens toi des copains, atteints de chimérie après les combats au Liban » 

Je suis allée chercher dans Wikipédia, sur internet, dans les livres et les dictionnaires, le sens de chimérie et j’ai trouvé parmi toutes mes recherches que :

« La chimère est fille d’échidna, la vipère et de Typhon.  La vipère est fille de Pontos, la mer noire et de Gaia, la terre.  Elle est sœur du sphinx qui pose les questions,  sœur du chien cerbère,  de l’hydre de Lerne et de Méduse, de l’aigle qui rongea le foie de Prométhée elle est femme et serpent. Elle n’est pas belle à voir. »

La chimère s’attrape après un traumatisme de guerre, par exemple.  Mais il est bien possible que Jacob quand il s’est battu contre l’ange de son frère jumeau se soit battu contre lui-même en chimère : « si ton frère est la main et que tu es la voix alors vous êtes un : l’un par l’acte. L’autre par la pensée. »

Moi je me suis dis : « A mon frère, j’aurai donné la moitié de la bénédiction pour qu’il ne pleure pas, qu’il ne souffre pas, qu’il ne maudisse pas et que la guerre ne s’installe pas entre nous ; à quoi me sert une bénédiction qui mettrait en danger la vie de mon frère? »

«  La réparation -  le tikoun1 - du passage du fleuve Yaboc2, la nuit, serait… » a dit le rabbin un shabbat,  « …comme le tikoun - la réparation et la restitution -  de la moitié de la brakha.3 »
Moi, de cette histoire de dispute entre les frères,  j’en garde une idée amère, je ne veux pas que ça en arrive jusque là avec mon frère. La voix ou la main ? Qui être entre frère et sœur ?
-         « que ma sœur et moi, soyons ensemble la main et la voix ! » c’est ce que Narshon a répondu au rabbin: « la guitare et le chant : la main et la voix »

 Je me souviens de ce que je disais à Asher : « Une bénédiction, c’est une possibilité vers le futur, un espoir »  un espoir d’être mieux, je voudrai te revoir, Asher, je  voudrai te revoir et que tu me redonnes cette poupée de chiffon aux yeux de grand-mère, pour tenir chaud à la solitude.

La chimère s’attrape à la solitude. C’est une maladie de la parole et du mot. Une maladie du verbe et du sens. De l’image et de l’imaginaire. C’est un langage démultiplié, que l’art grec appelle à « plusieurs têtes » comme le chien Cerbère.
C’est ce que j’ai compris en lisant tous les documents que j’ai pu trouver sur les chimères.

Ma voisine aussi et pas uniquement celle d’Asher,  a une chimèrie :  La chimère à  tête de lion, emblème  de la tribu de Yéhouda4,  de la royauté, ou une tête de chèvre, c’est à dire,  puissance et force. Mais elle a la queue d’un dragon. Le dragon est la bête du passé, elle signifie peut être que dans l’être humain, il y a un temps  préhistorique qui perdure, un vieux temps d’avant l’écriture qui continue a couver en un feu interne. Une chimère c’est une pulsion, un cri entre préhistoire de ma vie et  futur sans harmonie. Un mouvement difforme.
Je me mets devant la glace et je me gribouille le visage de rouge à lèvre et de fard bleu ; je mets à l’envers le plus grand pull de mon frère et deux de ses pantalons et je fais la chimèrie : je hurle et je crie du n’importe quoi jusqu’à ce que ça explose en cris de folie « rigoli rigola la chimèrie que voilà ! »

L’attentat qui dura 6 ans et qu’on appelle la guerre, l’attentat  a fait tomber ma voisine en chimèrie.
Elle se soigne  en brûlant à mort sa chimèrie : Elle fait du sport tous les jours et elle travaille à  apporter de l’aide à tout le monde, plusieurs heures par mois, plusieurs fois par jour, après son travail à la caisse de la koupat holim5.  Mais je vais vous raconter comment mon cousin Calev a changé ma vie :
Je vais tenter de vous la raconter son histoire, le plus joliment possible.
En vous décrivant bien les paysages et les sensations de mes amis, afin que vous au moins vous n’attrapiez jamais de chimérie, parce que vous vous sentirez si bien avec mes amis que votre vie aussi sera si jolie.






4 LE  Lion : est le symbole de la royauté de la tribu de Yéhouda, d’où descend le roi David
5 Koupat holim : « caisse de maladie » service médical
 


1 TIKOUN : mot hebreu signifiant acte de réparer, une mauvaise action, le monde ou un objet…
2 YABOC : nom du fleuve au bord duquel Jacob s’est battu contre l’ange d’ Esav sont frère. Au therme de ce combat, Jacob prend le nom d’Israel.
3 BRAKHA : bénédiction en hébreu – la bénédiction que devait acquérir Esau de son père a été interceptée par son frère Jacob. Ce qui a conduit Jacob à prendre la fuite et Esau, au désespoir.



1 YESHIVA :  Mot hebreu basé sur une racine signifiant « assis »  - école religieuse où sont assis les étudiants pour étudier les livres et les textes de la loi juive.

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