dimanche 30 octobre 2011

Critique littéraire Shoshana Saskia Cohen Tanugi

ABRAHAM JOSHUA HESCHEL
Un prophète pour notre temps  - Edward K. Kaplan - ALBIN MICHEL 2008



Le judaïsme américain contemporain est multiple, coloré, riche et varié. Il va des groupes orthodoxes au judaïsme réformiste et aux groupes défendant une assimilation complète aux valeurs américaines. Le rabbin Abraham Joshua Heschel fut une des clefs du Judaïsme contemporain américain. Edward K. Kaplan publie chez Albin Michel, un essai de 195 pages pour nous convier à réfléchir au parcourt d'un de ces penseurs importants qui jouèrent un rôle au sein du judaïsme américain du XXe siècle.

Abraham Joshua Heschel est né en 1907 à Varsovie, dans une famille hassidique disciple du Baal Shem Tov. Par son père, il descend des principaux successeurs de Rabbi Israël, du grand rabbin de Mezeritchn, et du rabbin de Ruzhin. Et par sa mère, il descend des maîtres du hassidisme de Lituanie.  Il fut reconnu dès son enfance à Varsovie, comme une "Lumière précoce de la Torah" car vers l'âge du 11 ans, après la mort de son père, il étudiait déjà le Zohar avec les rabbis de Pelzovizna et de Novominsk et à dix- sept ans il publiait ses premiers articles d'analyses juridiques du Talmud, dans le journal orthodoxe de Varsovie dont la population à cette époque comptait près de 41% de Juifs.  
Il parlait dès l'âge de 20 ans, le Yddish, l'hébreu biblique et l'hébreu moderne, le polonais, et l'allemand. Ce qui lui permit de suivre une formation de philosophie et de théologie à l'université de Berlin juste avant la seconde guerre mondiale et de se former à l'Institut pour les Sciences du Judaïsme qui dispensait alors un séminaire rabbinique libéral. Très vite, Heschel juge l'enseignement universitaire comme gréco-allemand et opposé à ses thèses : " Selon moi la Torah enseigne une vision de l'homme du point de vue de Dieu. Eux, parlent de Dieu du point de vue de l'Homme." Heschel développe alors une analyse théocentrique du "Je" humain, au service de Dieu, "Je" comme objet de Dieu, qui Seul est le Sujet. L'année de l'incendie du Reichstag, en 1933, il publie à Varsovie un ouvrage de poèmes en allemand "Le Nom secret de Dieu est : l'Homme.'' [1]  N'ayant plus le droit d'enseigner à Berlin au moment où le gouvernement nazi fit exclure les enseignants Juifs des universités, il rejoignit la maison d'édition de livres d'art dirigée par Erich Reiss [2]où il s'occupa de la publication des ouvrages sur le Judaïsme, l'Histoire et l'Actualité. Il y publie un ouvrage sur Maimonide pour le 800e anniversaire de sa mort. Son travail alors se centra sur le Judaïsme médiéval. Et il écrivit en langue allemande plusieurs essais sur Ibn Gabirol. A la veille de la seconde guerre mondiale il sort un document de recherche sur l'inspiration prophétique où il analyse Osée, Amos, Isaïe, Jérémie. Il publie une série de biographies spirituelles, dont celle de Saadia Gaon (882-942)  d’Isaac Abrabanel (1437-1509) et celle du plus jeune élève de Hillel, Yohanan Ben Zacai. Dans cette dernière étude, il met en parallèle les événements politiques survenus en Allemagne nazie et les persécutions de l'armée romaine à la période Biblique.  Le 28 Octobre 1938, désespéré, il écrit : "la Shekhina gît dans la poussière" il est expulsé d'Allemagne et rentre à Varsovie où il vit dans un appartement familial au cœur du quartier qui deviendra le futur ghetto de Varsovie. Suite à la grande détresse que fut la nuit de cristal, le 9 Novembre 38, il prend contact avec les universités américaines et entreprend de quitter l'Europe.  Après un court passage à Londres, il arrive à New York en mars 1940 avec les 150 000 Juifs d'Allemagne qui purent trouver refuge aux Etats-Unis entre 33 et 41. Einstein, Bettelheim, Ardent sont parmi ceux-là. Après la seconde guerre mondiale la communauté Juive Américaine fut la seule à sortir indemne du génocide. Grâce à la Bannière Etoilée, dans les années 60 près de 5 800 000 Juifs sont américains. Cette communauté développa une volonté d'assimilation, et un sentiment d'attache forte, loyale et sincère pour les valeurs américaines. Mêlé à ce sentiment universel de culpabilité vis-à-vis des victimes du génocide qui contribua aux Etats Unis à l'assouplissement des lois de l'immigration[3]. En 1948 puis en 1953 des mesures furent prises légalement pour permettre aux survivants d'être reçus sur le territoire américain. Une partie de la communauté commença à s'intéresser aux différentes institutions religieuses. L'assimilation extrêmement loyale aux valeurs américaines et le désintérêt pour les valeurs rituelle hébraïques nécessitèrent à certains membres de cette communauté de se resituer par rapport à la pensée philosophique et religieuse issue du Judaïsme. Après avoir attendu le retour en vain de sa mère et de sa sœur, portées disparues après la révolte du ghetto, Rabbin Herschel fidèle aux valeurs américaines qui lui avaient permis de sauver sa vie, décida de jouer un rôle de pédagogue, de rabbin et de philosophe dans la communauté américaine d'après guerre.

Très vite il rend compte de la différence entre les valeurs défendues par le judaïsme américain et celles véhiculées par le judaïsme polonais d'avant-guerre.  "L'absentéisme spirituel"[4] d'un certain judaïsme assimilé le pousse à défendre dans la communauté de Cincinnati et auprès de ses étudiants universitaires, un contre mouvement. Il s'opposa aussi au rationalisme du mouvement réformiste. Selon lui, il existe dit-il avec humour, des communautés où "un rabbin n'a pas besoin de croire au Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Yaacov pour être rabbi."
Aux côtés de Martin Luther King, il milite alors pour les droits des citoyens afro-américains. Puis il prend position pour la paix, contre la guerre du Viet Nam. Il devient alors un personnage clef du néo-hassidisme américain, professant une voie du milieu, ni réformiste ni orthodoxe, mais basée sur une philosophie acquise aux lumières du mysticisme, de la Kabbale et influencée par la Loi, la Mishna, le Talmud et les mouvements sociaux contemporains.  Il rencontre du 29 Août au 1er Septembre 72 au colloque de Rome,[5] les penseurs religieux des autres religions monothéistes, dans l'espoir d'exprimer une pensée fraternelle et d'inspiration Talmudique pour Israël. Mais 4 jours malgré le succès intercommunautaire de ce colloque, le 5 Septembre, a lieu l'attaque terroriste contre des athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich. Moins de trois mois plus tard, épuisé par son combat pour la Torah, la veille du Shabbat du 22 Décembre 72, après avoir transmis le matin, ses manuscrits à son éditeur et confié ses poèmes Yiddish à un acteur Joseph Wiseman avant shabbat, il rend l'âme avant la prière de shaarit.  C'était avec Rabbi Akiba qu'il se sentait le plus d'affinité : "Son discours était pittoresque. Sa voix orageuse. Sa pensée audacieuse. Ce fut un poète jusqu'aux racines de son être."[6]
L'ouvrage de langue française publié par Edward K. Kaplan donne des informations précises, claires et historicisées du parcourt religieux et philosophique d'Abraham Joshua Heschel. Son enseignement veut transmettre un exemple de loyauté envers la tradition talmudique et biblique, et envers les valeurs de l'éthique américaine, dans un cadre social contemporain adapté à une conciliation entre les peuples :

"Un pointillisme excessif dans l'observance de la Loi, risque de faire oublier la présence vivante, de faire oublier que la Loi n'a pas été instaurée en vue d'elle-même, mais en vue de Dieu."
Comme " Dans la crise spirituelle du Juif moderne, le problème de la foi prévaut sur le problème de la Loi. Sans la foi, sans intériorité et capacité d'émerveillement, la Loi n'a pas de sens." [7]

Abraham Heschel, Un prophète pour notre temps, Edward K. Kaplan - Albin Michel 2008
Maimonide, Abraham Heschel, traduction française de Germaine Bernard, Payot, 1936
L'homme n'est pas seul, Abraham Heschel, traduction française de Françoise Boutet, Paris Présence, 1985
Dieu en quête de l'Homme, Abraham Heschel,  Le Seuil 1968
The Ineffable Name of God: Man Poems, N.Y Continuum 2004


[1] P. 30
[2] P.31
[3]  Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme, Editions du Cerf, 1993 p/1416 
[4] Pp. 48
[5] Pp. 153-156
[6] P.99
[7] P81 -82

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